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Bidon, A. Souchon, 1976. Singles, L. Voulzy 1972-1976

Publié le 15 novembre 2022, par Charles-Erik Labadille

L’album Bidon, 1976

Sorti en 1976, Bidon est le deuxième album studio d’Alain Souchon. Succédant à J’ai dix ans, ce nouvel opus marque une volonté de s’engouffrer dans la brèche ouverte deux années auparavant par la chanson « facétieuse et un peu rebelle », tout en installant un univers plus intime, plus poétique et plus littéraire, bref Alain Souchon décide de rejoindre le groupe de la chanson d’auteur. La musique s’est également améliorée, plus typée, plus originale, notamment grâce à l’influence notable de compositeurs créatifs, Michel Jonasz (2 titres) et Laurent Voulzy (3 titres).

Donc, dans la lignée de « J’ai dix ans », arrivent de nouvelles chansons, souriantes, spirituelles, un peu espiègle comme « Bidon » (Alain Souchon, Laurent Voulzy), « Qui dit qui rit » (Alain Souchon, Laurent Voulzy), et le titre qui suit.

Le gros pétard (Alain Souchon). Avec cette chanson, l’auteur décide même de surfer avec le trivial, sur la fine limite du bon et du mauvais goût. Car ce gros pétard n’est pas un de ceux qu’on tire au quatorze juillet. Plus prosaïquement, il s’agit bien du gros derrière d’une bonne copine. « Ell’ mang’ des boul’ de gomm’ du matin jusqu’au soir   Si bien qu’à forc’ ell’ a attrapé un gros pétard ». En fait, sur un thème voisin de celui de La fille en papier de Laurent Voulzy (1975, voir plus bas),  Alain Souchon se positionne radicalement à contre-courant avec cet éloge de l’embonpoint. Après avoir évoqué la beauté standardisée des filles fines des magazines (les filles en papier…), il déclare : « Mais j’t’aim’ migrain’ dans ta rob’   Laiss’ les ces p’tits pétards snobs   La vie dur’ un’ cigarett’   Ton pétard me mont’ à la têt’ ». Et pour soutenir cette opinion bien tranchée, il y a ce picking vif et joyeux à la manière de « J’ai dix ans ».

Nell Pierlain, La jeune fille en noir

Dans « S’asseoir par terre » (Alain Souchon), « Câlin-câline » (Alain Souchon, Laurent Voulzy), « j’appelle » (Alain Souchon, Laurent Voulzy), l’auteur distille sa nostalgie, sa détresse naturelle, son spleen et son discours sur l’incommunicabilité qui deviendront légendaires.

Enfin, avec « Le monde change de peau » (Alain Souchon, Michel Jonasz), « Tout doux » (Alain Souchon, Michel Jonasz) et « Petit pois » (Alain Souchon), Alain Souchon affirme clairement ses prétentions littéraires. Quoi de plus normal quand ces dispositions s’inscrivent dans les gènes familiaux et qu’on est le digne fils d’une romancière signant aux Éditions Tallandier sous le pseudonyme de Nell Pierlain, puis écrivant pour la Collection Harlequin. Avec le premier titre tout à fait révélateur de cette écriture plus travaillée, plus sophistiquée, on plonge directement dans le futur grand bain des Années 80 commencent (Michel Jonasz 1979) :

Le monde change de peau… « Sera-t-il doux et sucré comme la liberté   Qui s’est cachée dans du ciment   Entre toi et le cœur des gens fatigués   Comment s’appell’ ce nouveau né   Sorti de ce ventre étonné   Mais qu’il soit laid ou qu’il soit beau   Le monde change de peau ».

Et cette verve littéraire se poursuit avec « Tout doux »  porté par la sublime musique de Jonasz.

Sur un folk léger, « Petit pois » est plutôt significatif d’une poésie plus allégorique, plus hermétique également où l’auteur avance à visage caché : « Regarde petit pois   Il pleut sur notre amour   La pluie les a rincés   Les longs rideaux velours   Mouillés, papiers chansons   Mouillés, poupées poupons   Et les amis qui viennent s’en vont ».

Qui dit qui rit, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1976, tonalités SI mineur et SI majeur

Affiches de cinéma par l'Union

Qui dit qui rit, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1976, extrait

Avec Qui dit qui rit, le rock s’invite pour la première fois dans les morceaux d’Alain Souchon et ouvre toute grande cette nouvelle porte à Bidon qui suit dans l’album. Ici c’est un rock lourd, sombre (en SI mineur) qui porte le couplet et dépeint la morosité de la douloureuse vie urbaine : « Chercher l’amour dans des cinés dans des rues d’banlieues paumées    Et voir cett’ fill’ sur un écran couleur qui dit qui rit pis qui pleur’ ». Là, l’auteur a voulu placer une sorte de « gimmick verbal », une petite phrase « cocasse » et qui se retient bien grâce à l’assonance en « i » : « qui dit qui rit pis qui… ». Vient ensuite un pont qui s’ouvre harmoniquement avec deux accords majeurs extérieurs à la tonalité (FA#, DO#7), majeurs pour sortir de ce blues en précisant la position de l’auteur : « Mettons que moi cett’ vie-là ces trucs-là ce s’rait pas tell’ment mon styl’… ». L’objet de cette transition est d’amener le refrain, cette fois en SI majeur (SI, MIb, SOL#m7…), sorte de conclusion construite sur une idée saugrenue, déraisonnable : Et si la campagne, la mer, la montagne s’invitaient en ville, cette dernière serait peut-être plus vivable ? Et la musique devient légère, guillerette et volontairement rétro (la douceur des charmes d’antan que l’on retrouvera plus tard dans Y’a d’la rumba dans l’air…) pour accompagner cet « Ou alors faudrait qu’le bord de la mer Vienn’ chez nous passer l’hiver avec ses plag’ et ses îl’   L’Esterel à domicil’ ». Au final, on peut dire que Qui dit qui rit est vraiment une chanson réussie, avec une construction musicale qui suit bien l’avancement des idées, et une intéressante opposition ville / campagne traitée sans prétention, sous une forme spirituelle, amusante.

S’asseoir par terre, Alain Souchon, 1976, tonalité SOL majeur

Homme assis, culture Nayarit, Mexique

Comme Bidon, mais dans un tout autre genre, c’est une chanson qui a touché le public car elle raconte aussi une histoire : celle d’un mec, encore jeune, et qui en a déjà marre de sa vie déconnante : « D’puis l’temps qu’on est sur pilot’ automatiqu’… ». Alors quoi faire : peut-être se résigner d’abord, puis continuer à vivre ensuite et, enfin, décider de se poser, d’aller voir ailleurs s’il n’y a pas quelque chose de meilleur à faire. Et là, surprise ! Cette idée qu’on aurait pu croire mener à l’isolement, à la marginalisation, cette idée a priori insensée, on s’aperçoit qu’elle est partagée : « Tu verras bien qu’un beau matin fatigué   J’irai m’asseoir sur le trottoir d’à côté   Tu verras bien qu’il n’y aura pas que moi   Assis par terr’ comm’ ça ». Bon, ensuite, certains pourraient reprocher à l’artiste, une fois cette saine philosophie annoncée, d’être en effet un peu fatigué : un refrain, juste deux couplets de 4 vers et hop ! Voilà la chanson emballée !

S’asseoir par terre, Alain Souchon, 1976, extrait

Alors c’est vrai, avec la répétition de ces quelques phrases, on pourrait ressentir, nous aussi, une certaine lassitude à terme car ça devient vite rengaine. Mais d’autres pensent que le procédé, avec ce rabâchage systématique du refrain, permet de mieux mémoriser la mélodie qui d’ailleurs n’est pas vilaine et, de ce fait, se retient bien (à force ?) ! Donc, asseyez-vous par terre pour écouter la chanson, réfléchissez profondément et vous n’avez plus qu’à choisir votre camp…

Pour la musique, quoi dire d’autre sinon que c’est du grand « classique », digne des carnets de chant qu’on entonnait gaiement dans la voiture des parents pour partir en vacances, mais du grand classique qui fonctionne : un couplet majeur avec SOL (I) et RÉ (V) en alternance ; un refrain en mineur avec MIm (VIm) et LAm (IIm), puis RÉ et SOL de nouveau pour ne pas trop faire mineur, le tout terminé par RÉ pour ramener au début du refrain, c’est presque du pilote automatique…

Petit pois, Alain Souchon, 1976, tonalités de LA majeur et RÉ majeur

Petit pois par Aprifel

S’agit-il d’un monologue et ce « Petit pois » ne serait-il alors que l’auteur lui-même ? Ou peut-être un autre membre de la fratrie Kienast-Souchon (4 frères, 2 demi-frères et 1 demi-soeur) ? C’est fort possible car la chanson fait allusion aux souvenirs communs, aux lieux partagés et au lien fort entretenu avec le père : « Regarde Petit pois la maison qui s’effondre    Regarde petit pois la toiture qui tombe   Le grand salon qui gliss’ quelque part emporté   Et la salle à manger sur un arbre perchée   Regarde Petit pois la maison de papa qui s’en va… »

La perte de celui de l’artiste en 1959 l’a profondément marqué et il l’évoquera à nouveau l’année suivante, plus clairement avec la chanson « 18 ans que j’t’ai à l’œil » de l’album Jamais content (1977). La mélancolie sue donc de tous les pores de cette ballade émouvante aux accents un peu folk, la mélancolie et le désespoir car l’on sait, au moment où le poème est écrit, ce que l’on a perdu et de quoi demain est fait : « Tu te souviendras petit pois le lézard sur les ardois’   Le chemin pour l’écol’ les mûr’ et les frambois’   La ville nous prendra comm’ les autres pareil   Sur le goudron du temps dessin’-moi le soleil ».

Petit pois, Alain Souchon, 1976, extrait

Dans l’intro, les accords suivants s’enchaînent : RÉ, LA, FA#m, LA, MI. Le couplet, en LA majeur, est un I IV V (voir La guitare à Charlie, Bubble Star, 1978) avec LA (I), RÉ (IV) et MI (V), puis encore RÉ et LA. Attention ! Des mesures à 2 temps se glissent dans celles à 4 temps ! Le refrain (Regarde Petit pois…), est également un I VI V mais cette fois en RÉ majeur avec SOL (IV), RÉ (I), LA (V) puis DO (hors tonalité). L’outro (la fin) fait tourner en boucle les trois accords SOL, RÉ, LA toujours dans le ton de RÉ majeur. Le morceau se termine en véritable apothéose où les guitares électriques, feux d’artifices, et les vrombissements des synthétiseurs se bataillent les chorus déjantés : c’est sans doute le temps qui passe, les souvenirs qui s’éloignent et la « maison de papa » qui s’en va dans les tourmentes de la vie moderne…

Tout doux, A. Souchon, Michel Jonasz, 1976, tonalité DO majeur

Michel Jonasz en 1974 par AFP

« Voilà je vais rester seul et sans délic’  Un bouquin par ci du régliss’   Des chansons vinaigres et grimac’…». Une telle introduction ne peut pas tromper, elle annonce un registre tout en finesse, littérature et poésie… : « Voilà comm’ sur un’ photo de nous deux   J’mets d’l’Ektachrom’ au fond d’mes yeux   Ça m’fait des imag’ pour toujours », on verrait bien aussi Michel Jonasz chanter des mots comme ça, de sa petite voix intérieure, fêlée, fracturée.

Tout doux, Alain Souchon, Michel Jonasz, 1976, extrait

Quoi qu’il en soit, sa musique jazzy enveloppe magnifiquement le blues des paroles, avec cette incroyable transition harmonique, très originale pour aller « tout en douceur » du couplet au pont, bref, de la dentelle musicale (SOL7M, FA#7, SOL#7, DO#7M, RÉm7…) sur des vers ciselés… : « et je mourrai du temps qui pass’… Tout doux ». Si l’on est bien en DO majeur (DO, RÉm, MIm, SOL, LAm), les accords extérieurs à la tonalité sont également nombreux et apportent, aux endroits où ils s’insèrent, des couleurs nouvelles : DO#7, MI7, FA#, SOL#, LA7, SI7 qui participent à la sophistication de la chanson.

BIDON, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1976, tonalité SOL majeur

Bidon, Alain Souchon, 1976, extrait

Après son premier grand succès, « Rockollection » en 1977, Laurent Voulzy nous raconte dans Bubble star (1978) comment, après avoir « ramé pendant dix ans », il accède enfin à la notoriété du « chanteur [ ] qu’est si beau en couleur ». Petit bémol, il ajoute bientôt avec un peu d’appréhension que « cett’ bull’ qu’on zoom » pourrait bien un jour « fair’ boum ! ». C’est en effet la question fondamentale que se pose tout membre du métier un peu réaliste : combien de temps tout cela peut-il durer ?

Un peu plus tôt, en 1976, après son premier succès de J’ai dix ans (1974), Alain Souchon aborde la même thématique dans Bidon mais la conjugue sous le mode de l’autodérision. Il choisit délibérément de pousser un peu plus loin son personnage décalé, un peu enfant-vaurien, un peu original mais néanmoins très ordinaire. Même si la gloire est au rendez-vous, il dit ne pas la mériter, et il invente cette gloire de l’anti-héros, d’un monsieur tout le monde qui se verrait propulsé, malgré lui et avec tous ses défauts, au firmament du show-business :

J’suis mal dans ma peau En chanteur très beau And I just go et my pinc’ à vélo J’suis bidon
J’suis qu’un mec à frim’ Bourré d’aspirin’ And I just go et my pinc’ à vélo J’suis bidon
Alain Souchon, 1976, "Bidon"

L’affaire va même beaucoup plus loin puisque Souchon, coureur aux vingt-quatre heures, se retrouve au volant d’une vieille Traction ; et que Souchon Superstar « Tournées sonos fill’s en pleurs » se retrouve en « talons aiguill’ [ ], des micro-brac’lets aux ch’vill’ ». Si on souhaitait désacraliser la chanson et ses icônes, on ne pouvait guère faire mieux : « Ell’ me dit chant’ moi un’ chanson   Oh j’ai avalé deux trois maxitons    Puis j’ai bousillé Satisfaction Consternation ». Ce personnage décalé, toujours marginal mais cette fois plus subversif, on le retrouvera un an plus tard dans Jamais content (1977).

Donc Bidon, grâce à ce discours décalé, s’est vraiment distingué de tout le reste. Ces paroles d’un grand enfant ont séduit, car c’est une sorte de « coming out » : on peut être un grand frimeur, un beau parleur, un tombeur de ces demoiselles, tout en étant au fond bien mal dans sa peau…

 

TONALITÉ, CAPODASTRE, OPEN TUNING, RENVERSEMENTS D’ACCORDS

Guitare espagnole du début XIXe (Drouot)

En composition musicale, une tonalité peut être choisie plutôt qu’une autre selon plusieurs critères : la hauteur du chant plus ou moins aigu ou grave ; un enchaînement particulier d’accords qui se fait plus facilement dans un ton que dans un autre (c’est particulièrement vrai à la guitare) ; et aussi, le hasard… Ici, par exemple, Bidon a été enregistré en Sol majeur et en La majeur. Un artiste peut également enregistrer plus « haut », pour afficher ses performances vocales, et chanter sur scène plus « bas », pour ménager sa voix.

Pour ceux qui reprennent des chansons, donc les interprètes, la tonalité choisie par le compositeur peut ne pas convenir : il s’agit par exemple d’une femme qui reprend un morceau créé par un homme, ou vice versa, ou d’un chanteur dont les dispositions vocales sont différentes des vôtres (basse, baryton, ténor, alto, soprane…). Il faut alors « transposer » la chanson, c’est-à-dire en changer la tonalité pour en choisir une nouvelle qui vous convienne mieux…

Dans Bidon, tout commence par un « riff » de guitare, entendez par là une petite phrase musicale qui se retient et sert de « point de repère » auditif, un riff de guitare électrique joué sur sa Rickenbaker, certainement un des premiers que Laurent Voulzy fait figurer en bonne place dans un morceau d’Alain Souchon

Commentaire d’Alain Souchon en 2016 et riff de Bidon en 1976

Bidon est joué en SOL ou LA majeur selon les cas. Laurent Voulzy a signé une musique en trois parties, et dans trois styles différents.

Le couplet, pour commencer, est plutôt folk, exploitant 5 des 7 accords possibles sur la gamme de SOL majeur : SOL (I) LAm (II mineur), DO (IV), RÉ (V), MIm (VIm) qui est également décliné en MI 7 (hors tonalité). Comme à son habitude, il a trouvé un gimmick chanté qui se retient facilement, et la mélodie est plutôt gaie pour s’accorder à des paroles pleines d’humour et d’autodérision.

Le rythme devient plus swing avec le pont (J’suis mal dans ma peau…) avec une succession de 4 accords plus jazzy : DO, DO5+, DO6, DO7 qui créent la montée mélodique : sol, sol#, la, la# soutenant les 4 phrases : mal dans ma peau ; coureur très beau ; I just go ; pinc’ à vélo.

Bidon, guitare, pont et boogie en Fa, Salvéda démo

Cette « ascension » amène au « bouquet final », le refrain « J’suis bidon » joué en rock en FA et utilisant un phrasé bien connu du boogie-woogie : fa fa la la do, do, ré, ré, mib, mib, ré, ré…

Paroles et musique feront les beaux jours de la chanson « Bidon » qui va s’inscrire naturellement dans la continuité du succès de « J’ai dix ans ». Alors, en définitive, Souchon, pas si bidon que ça…

S'il ne fallait en retenir qu'une...

Qu’est ce que c’est que cette histoire de 7 accords possibles sur une gamme majeure ???

Eh bien, pour ceux qui veulent faire de la chanson (en jouer, en composer…), c’est une des règles les plus importantes mais surtout les plus utiles !!! S’il n’y en avait qu’une à retenir… Alors, nous allons vous en donner les clés ici, et vous inviter à consulter La guitare à Charlie « L’harmonisation de la gamme majeure » page x si vous souhaitez comprendre d’où viennent ces résultats.

Sur chaque note d’une gamme, par exemple celle de :

DO = do ré mi fa sol la si do, qui servent à « fabriquer » la mélodie de la chanson, peuvent se construire des accords qui seront « justes » avec cette mélodie et pourront l’accompagner.

En DO : DO majeur, RÉ mineur, MI mineur, FA majeur, SOL majeur 7, LA mineur, SI mineur 7 quinte diminuée.

Ces « résultats » peuvent être « généralisés » :

DO : I ; RÉm : IIm ; MIm : IIIm ; FA : IV ; SOL7 : V7 ; LAm : VIm et SIm7/5b : VIIm7/5b et s’appliquer à n’importe quelle gamme (celle-ci donnant sa « tonalité » au morceau).

Transposons ces résultats dans la tonalité de RÉ (où deux notes sont #, le fa et le do) on obtient les accords suivants qu’on peut utiliser (ou non) dans une chanon en RÉ :

I : RÉ majeur ; IIm : MI mineur ; IIIm : FA# mineur ; IV : SOL majeur ; V7 : LA majeur 7 ; VIm : SI mineur ; VIIm7/5b : DO# mineur 7 quinte diminuée.

Et dans la tonalité de SOL majeur (ou le fa est #), cas de la chanson « Bidon » : SOL, LAm, SIm, DO, RÉ7, MIm, FA#m7/5b, le compositeur aurait pu utiliser sans « problème » harmonique ces sept accords. Comme nous l’avons dit, Laurent Voulzy n’en a choisi que 5. Le grand intérêt de cette « règle », c’est qu’elle fonctionne sur la grande majorité des morceaux. Le plus grand plaisir d’un musicien, quand il l’a bien assimilée, c’est dans sortir sans que cela ne s’entende ou pour amener des couleurs originales à son œuvre.

La mesure à 4/4 et les différentes figures de rythme

Pour plus de régularité, mais aussi pour une plus grande facilité de lecture des morceaux de musique, ces derniers sont fragmentés en séquences de même durée appelées « mesures ». Comme c’est le cas pour « Bidon », la majeure partie de la chanson, du folk, de la pop et du rock, fonctionne sur de la mesure dite à 4/4, c’est-à-dire sur un découpage en périodes identiques de 4 pulsations sur lesquelles se calent, plus ou moins, les changements d’accords. Nous reviendrons ultérieurement sur les différents types de mesure dans l’article consacré au morceau « Y’a d’la rumba dans l’air » (album « Jamais content« ) d’Alain Souchon (1977)…

Photo de Ralph Crane, 1957

Singles de Laurent Voulzy 1972-1976

Si Alain Souchon galère une dizaine d’années avant d’être reconnu, le cheminement de Laurent Voulzy n’est pas plus court, bien au contraire, puisqu’il commence avec son premier groupe les Tigers en 1962, en tant que batteur, et s’arrête en 1977 avec Rockollection. Même si l’on choisit le succès partagé de J’ai dix ans comme date butoir (1974), on arrive tout-de-même à la bonne douzaine d’années. Pendant tout ce temps, Laurent Voulzy se cherche, tâtonne, s’initie…

L’apprentissage, sous l’égide de grands maîtres comme les Beatles, les Shadows, les Stones, les Beach Boys… passe par le travail et le perfectionnement personnel sur l’instrument puis le terrain, entendez par là l’adhésion à quelques formations musicales : en 1964, il est bassiste dans Les Ellences. En 1967, il remporte un radio-crochet avec sa première chanson, « Timide », puis tient la guitare dans le groupe Le Poing aux côtés de Mark Robson avec qui il tourne à travers la France ; c’est le pied à l’étrier, mais sans enregistrer de disque. En 1969, le chanteur Pascal Danel (« Les neiges du Kilimandjaro »…) qui cherche des musiciens le prend comme guitariste, rôle qu’il tiendra pendant cinq ans. Cet engagement ne l’empêche pas, en 1970, de se produire comme chanteur soliste dans un nouveau groupe, Le Temple de Vénus qui sort un 45 tours chez RCA. Les deux titres enregistrés : « Plaisir solitaire », « Vos mains de dame », ne sont pas une véritable réussite, ni artistique, ni commerciale et cela va encore durer pendant quelques années…

L’année suivante, à 22 ans, le label RCA lui propose de signer son premier contrat à son nom. Il va d’ailleurs bientôt en changer : pour signer son premier 45 tours en 1972, il passe de Lucien… à Laurent Voulzy. Une étoile est née ? Pas encore et d’ailleurs, c’est peut-être ce souhait de « vouloir en vivre » qui va l’en empêcher pour quelques temps de plus. En effet, il commence à fréquenter le « milieu », il voit que certains sont « sortis » : Michel Delpech… ; ou sortent comme C Jérôme, Frédéric François, Patrick Juvet, Alain Chanfort, Dave, Stone et Charden…, et donc pourquoi pas lui qui maintenant a aussi un pied dans la maison !

L’amour est un oiseau, Laurent Voulzy, 1972, extrait

Le problème, c’est qu’il s’agit du milieu de la variété française, d’une chanson construite sur des canons conservateurs, consensuels et commerciaux et que, même s’il s’agit de musique « facile », la concurrence est rude. À partir de 1972 et jusqu’en 76, Laurent Voulzy sort un 45 tours par an sans rencontrer le moindre succès. Car en fait, si certains s’en sortent, il est également très difficile de se faire remarquer quand on reste dans l’ordinaire… Et c’est bien dans le registre d’une variété très habituelle que peuvent se classer : « L’amour est un oiseau », « Folle de toi » (1972) ; « La maison à croquer », « La sorcière » (1973) ; « Je veux chanter pour toi », « Milady » (1974).

 

La fille en papier, Laurent Voulzy, 1975, extrait

Le 45 tours de 1975, hybride, marque un changement. La rencontre avec le chanteur Alain Souchon y serait-elle pour quelque chose ? D’un côté, il y a « Le miroir » qui s’inscrit dans la lignée « variété » des morceaux précédents.

La fille en papier (L. Voulzy, 1975),

sur l’autre face, annonce un style nouveau. L’influence de « J’ai dix ans » (et des Beatles) se sent dans le picking pop et guilleret qui soutient le morceau. Même s’ils ne sont pas « affinés » comme par la suite, les chœurs tenus (à la manière Beatles) ou féminins en réponse au chant principal sont déjà une carte de visite intéressante. Il y a de l’invention également dans les intonations et les phrasés où alternent des ralentissements et des accélérations qui annoncent déjà les dictions à la Richard Gotainer. On peut également faire quelques reproches : une mélodie encore « variétisante » et qui se retient mal ; des arrangements « surdosés », par exemple avec quelques guitares trop aigues, trop métalliques qui enterrent le chant. Quant aux paroles, c’est une grande première, elles ne sont pas déplaisantes avec cette idée des filles des périodiques illustrés et des affiches publicitaires qui pourraient concurrencer la vraie gente féminine :

« la fille en papier voudrait m’attraper »…

On note également pour cette année 75 que Laurent Voulzy déborde toujours d’énergie, car outre ses nouveaux engagements avec Alain Souchon, il participe aussi au combo Mama Joe’s Connection qui sort un single chez RCA rassemblant deux titres : « Deep Purple » et « Mama Joe ». En gros, si ça ne marche pas par un bout, ça pourrait le faire de l’autre… Un peu boulimique, notre Laurent Voulzy…

Et ça continue en 1976, comme membre de Dandy Lion, avec un single toujours chez RCA : « If you want to love me babe », « Day light », deux titres déjà plus pop, plus funky. Vous en revoulez encore ? Il y a également Magic Land avec la chanson « A crocodile in a aquarium », cette fois beaucoup plus folk !

Mais pour le dessert, il y a ce nouveau 45 tours à son nom, édité un an avant « Rockollection » et l’album d’Alain Souchon Jamais content auquel il participe largement (8 musiques sur 10).

Les radios qui chantent, Laurent Voulzy, 1976, extrait

On peut y entendre deux titres dans des styles très différents.

Les radios qui chantent (Laurent Voulzy, 1976),

est un rock-variété influencé par ceux d’Elton John comme Crocodile rock… :

« I remember when rock was young… » devient ici « Lorsque j’étais pensionnair‘ Que j’éteignais les lumièr’…   …Je me baladais sur les ond’… ».

Donc : musique et thématique partagée par les deux artistes, nostalgie sur les airs et les radios écoutés lorsque nous étions jeunes… Les couplets tiennent bien la route, les refrains sont plus difficilement défendables, un peu trop déjà entendus pour la mélodie : Laurent Voulzy s’y essaie, comme le fit Elton, aux falsetti, ces voix de « fausset » très aigues. Les radios qui chantent est donc une chanson pas déplaisante, à écouter déjà par curiosité.

Peggy (bye bye) (Voulzy 1976),

est d’un tout autre style. C’est une chanson bien plus personnelle, à la musique sophistiquée, au ton intimiste et aux paroles énigmatiques qui annoncent un cheminement plus intuitif, confidentiel, fragile que le chanteur développera par la suite. Peggy est d’ailleurs reprise en chanson cachée dans un album lui aussi plutôt sensible, La fille d’avril (2001). En 1976, la chanson est un peu « plombée » par l’arrangement un peu lourd. Pour comparer, écoutez plutôt la version de 2001.

Peggy (Bye-bye), Laurent Voulzy, 1976, extrait

Peggy (Bys-bye), Laurent Voulzy, reprise de 2001, extrait

Pour conclure, on notera que « Rockollection » (1977) n’est autre, si l’on y pense, qu’un « Les radios qui chantent » revisité avec beaucoup d’originalité ! A contrario, cette période 72-76 inscrite dans les variétés de l’époque a, quant à elle, quelque-chose de particulièrement prévisible.

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Analyse de l'album "On avance" d'Alain Souchon 1983 avec 4 titres : On avance, On est si beau, Somerset Maugham, Banale song
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2 avril 2023
Bopper en larmes, Laurent Voulzy 1983
Analyse de l'album Bopper en larmes de Laurent Voulzy 1983 avec : Bopper en larmes, Mayenne, Black poule, L'océane, Ricken, Liebe, Jalousie.
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10 avril 2023
Laurent Voulzy, singles 84-88
Analyse de 4 singles de L. Voulzy sortis entre 84 et 88 : Désir,désir ; Belle-Île-en-Mer ; My song of you : Le soleil donne.
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24 avril 2023
C'est comme vous voulez, Alain Souchon 1985
Analyse de l'album d'Alain Souchon "C'est comme vous voulez" 1985 avec : La ballade de Jim, C'est comme vous voulez
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5 mai 2023
Ultra moderne solitude, Alain Souchon, 1988
Analyse de l'album d'Alain Souchon "Ultra moderne solitude" 1988 avec : Ultra moderne solitude, Quand j's'rai K O, Normandie-Lusitania
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11 mai 2023
Caché derrière (1), Laurent Voulzy 1992
Présentation de l'album de Laurent Voulzy "Caché derrière", 1992. Première partie : analyse des paroles et des musiques des chansons : Caché derrière ; Bungalow vide ; Ta plage Beach Boy ; Never more ; Le cantique mécanique.
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11 mai 2023
Caché derrière (2), Laurent Voulzy 1992
Présentation de l'album de Laurent Voulzy "Caché derrière", 1992. Deuxième partie. Analyse des paroles et des musiques des chansons : Le pouvoir des fleurs ; Le rêve du pêcheur ; Paradoxal système ; Carib islander ; Guitare héraut.
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13 mai 2023
C'est déjà ça, Alain Souchon 1993
Analyse de "C'est déjà ça" d'A. Souchon, 1993 : Foule sentimentale ; L'amour à la machine ; Les regrets ; C'est déjà ça + Du temps qui passe.
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6 juin 2023
Au ras des pâquerettes, Alain Souchon 1999
Présnetation de l'album d'Alain Souchon 1999 "Au ras des pâquerettes" : analyse des chansons "Le baiser" et "Caterpillar"
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18 juin 2023
Avril (1), Laurent Voulzy 2001
Analyse de l'album de Laurent Voulzy "Avril", 2001. Première partie : Slow down, Mary Quant, 4 nuages, Une héroïne, Le capitaine et le mat.
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3 juillet 2023
Avril (2),Laurent Voulzy 2001
Analyse de l'album de Laurent Voulzy "Avril", 2001. 2ème partie : Je suis venu pour elle, Amélie Colbert, La fille d'avril, Jésus, Peggy
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23 juillet 2023
La vie Théodore, Alain Souchon 2005
Analyse du CD d'A. Souchon 2005, La vie Théodore : J'aimais mieux..., La vie Théodore, A cause d'elle, Et si en plus, Le marin, L'île du...
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23 juillet 2023
La 7ème vague, Laurent Voulzy 2006
Analyse de la 7e vague de L. Voulzy, compilation de 17 reprises : Alessi, Sade, Simon, Trenet, Lenon, Carpenter, Mandel, Merrison...
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27 juillet 2023
Ecoutez d'où ma peine vient, Alain Souchon, 2008
Analyse de l'album d'Alain Souchon "Ecoutez d'où vient ma peine" avec : Elle danse, Les saisons, Rêveur, Ecoutez...
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27 juillet 2023
Recollection, Laurent Voulzy 2008
Analyse de l'album "Recollection" de Laurent Voulzy 2008 avec Rockcollection 008, Dans le vent qui va, Jelly Bean
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11 août 2023
A cause d'elles, Alain Souchon 2011
Notes sur "A cause d'elles" d'Alain Souchon 2011 : Il y'a le jour il y'a la nuit ; En sortant de l'école ; Les crapauds ; Simone
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10 octobre 2023
Lys & Love, Laurent Voulzy 2011
Notes sur Lys & Love de Laurent Voulzy : La nuit, La 9ème croisade, Ma seule amour, Jeanne, Blackdown, Our song...
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11 octobre 2023
Alain Souchon & Laurent Voulzy 2014. Le concert 2016
Analyse des albums A. Souchon & L. Voulzy 2014, et Le concert 2016 : Souffrir de se souvenir, Derrière les mots, La baie des Fourmis...
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9 novembre 2023
Spirit of samba, Laurent Voulzy 2017, version musicale
Spirit of samba, Laurent Voulzy 2017, version pour guitaristes : Vocé abusou, Partido alto, Samba dé vérao, Insensatez, Aguas de março...
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11 novembre 2023
Spirit of samba, version light, Laurent Voulzy 2017
Analyse du medley de Laurent Voulzy 2017 avec Vocé abusou, Partido alto, Fio Maravilha, Pais tropical, Samba dé vérao, Insensatez...
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24 novembre 2023
Belem, Laurent Voulzy 2017
Belem, Laurent Voulzy 2017. Analyse de l'album avec : Timides, Belem, Quand le soleil se couche, Minha song of you...
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8 décembre 2023
Ames fifties, Alain Souchon 2019
Ame fifities, Alain Souchon 2019. Analyse de l'album avec : Ames fifties, Ici et là, Irène, On s'ramène les cheveux...
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9 décembre 2023
Discographie Souchon Voulzy
Discographie Souchon Voulzy. Présentation des 24 albums studio de 1974 à 2019. Classification et interprétation de 240 titres de chansons.
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12 décembre 2023
La guitare à Charlie : points techniques
Cette rubrique est une synthèse de tous les points techniques présentés dans les différents articles consacrés aux oeuvres de Laurent Voulzy et Alain Souchon : tonalité, capodastre, renversements d'accords ; lecture d'une tablature ; guitar picking...
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