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Le soleil donne (Voulzy-Souchon) version instrumentale

Publié le 23 septembre 2025, par Charles-Erik Labadille
Jean-Jacques Sempé, également un fameux mélomane

Pour ne pas être « détournés » par les mots, nous allons analyser, dans ce premier exercice, une version instrumentale de la chanson, donc privée de son contenu philosophique, ou abêtissant ! Car c’est l’apanage de tous nos tubes : ils sont philosophiques ou abêtissants. Les paroles du « Soleil donne » de Laurent Voulzy et Alain Souchon sont pour leur part excellentes, simples mais philosophiques à souhait, mais supprimons-les volontairement pour découvrir la complexité de l’arrangement, et le travail « déraisonnable » de Laurent Voulzy pour valoriser le texte et la mélodie.

Ce décryptage, presque comme celui des hiéroglyphes par un certain Champollion, devrait permettre également à certains auditeurs, non plus d’entendre la musique, mais de l’écouter différemment : ah tiens la basse fait ci, le rimshot fait ça… D’un autre côté, c’est peut-être aussi la fin d’un plaisir simple, transformé en un épluchage un peu trop intellectuel ? Nous nous posons nous-même encore la question… Pourquoi tout compliquer quand l’on peut écouter simplement, par plaisir ? Eh bien, c’est parce que, comme le disait à juste titre le dessinateur Jean-Jacques Sempé : « Rien n’est simple… » et « Tout se complique ! »

Durée et tempo du morceau

« Le soleil donne » est un morceau long, 7 minutes 29 secondes pour notre version instrumentale, et 303 mesures ! Il faut donc nécessairement y apporter beaucoup de petites choses successives pour que la monotonie ne s’installe pas et il est clair que Laurent Voulzy, travailleur acharné, n’a pas démérité dans ce challenge.

Le tempo que nous avons choisi, la noire à 162 en 4/4, est un peu plus lent (nous verrons plus tard pourquoi) que celui choisi par l’auteur, 176 : c’est un tempo très rapide pour donner à ce soleil qui chauffe un rythme de samba très vive. Nous garderons la mesure à 4/4 plus simple pour nos explications, mais à cette vitesse, la mesure devrait être du 2/2 (respectivement 81 et 88 à la blanche) : au lieu de taper du pied quatre fois par mesure (le pied se fatigue vite car c’est trop rapide !), on ne tape plus que deux fois par mesure, donc un coup sur deux, 2/2, deux blanches par mesures…

Technologies utilisées

Guitare pro, avec la partition en tablature (pour guitare) en haut de l'écran et les différentes pistes d'instruments en bas
Un plugin : un multiband compressor de chez Waves

La version instrumentale que nous vous proposons a été créée pour que, dans un second temps, le Trio Salvéda puisse poser ses voix-sur cet arrangement (ça viendra, quand nous ne serons plus enrhumés…). Mais comment cet arrangement a-t-il été créé ? Musiscopie…

Tout d’abord, il a fallu « pomper » à l’oreille toutes les parties des instruments composant l’original, ce qui n’est pas toujours simple car, au mixage, tout peut-être noyé dans la réverbération, l’écho, la compression pour ne citer que quelques « plugins » (fonctionnalités) les plus utilisés.

Ensuite, pour notre part, nous travaillons avec deux logiciels mais certains musiciens ne se servent que du second. Il faut donc un ordinateur assez puissant et voilà votre petit « Home studio » (studio à la maison) installé dans un coin du garage, du grenier ou parfois de la chambre à coucher, quand la compagne ou le compagnon habituels sont assez compréhensifs !

Nous démarrons d’abord avec Guitare pro. Ce logiciel permet d’écrire les partitions des différentes « parties musicales » et d’allouer ensuite une piste séparée à chaque instrument, avec un son spécifique que l’on peut choisir dans les banques de sonorités proposées. La musique peut être écrite en solfège, mais aussi en tablatures si vous êtes guitaristes. On exporte ensuite chacune de ces pistes séparément (par exemple, guitare, basse, violons…), soit au format « audio » (MP3…) si le son choisi convient, soit au format « midi ».

Cubase : les différentes pistes instrumentales
Un logiciel "midi" : en haut l'audio, au milieu la représentation "midi", en bas la partition en solfège

Ces fichiers sont ensuite importés dans un nouveau logiciel utilisé principalement pour le mixage et l’enregistrement avec micros : Cubase (pour PC). Sous Mac, on utilise Pro Tools.

Cubase (ou Pro Tools) offre un nombre considérable de nouvelles banques de données sonores qu’on pourra associer à nos pistes « midi » créées sous Guitare pro : il faut imaginer ça un peu comme un traitement de texte : par exemple, sous Word, vous tapez les mots et vous changez ensuite les polices de caractères comme il vous chante ; ici, c’est pareil, sauf que les polices sont remplacées par des sons différents.

Chaque instrument ayant sa piste propre, vous pouvez lui ajouter (et retirer) tous les plugins imaginables : réverb, delay (écho), compression, chorus, flanger, distorsion, équalisation (grave, médium, aigus…)… ;  et surtout régler son volume et son panoramique (son à droite, à gauche ou au milieu), deux points hyper importants pour réaliser le mixage final qu’on exporte sous forme de fichiers audio « wave », de très grande qualité mais très lourds. On les convertira par la suite en format audio plus « raisonnables », comme les MP3.

Votre console de mixage comporte donc autant de pistes qu’il y a d’instruments différents, autant dire que vos oreilles doivent être à la fois au fours et au moulins. Comme nous allons le détailler, nous avons travaillé avec 24 pistes différentes pour cette version instrumentale du « Soleil donne ».

La table de mixage de Cubase

« Le soleil donne », la version instrumentale.

Le soleil donne (Laurent Voulzy – Alain Souchon). Version instrumentale par Salvéda

Voilà l’audio complet d’une durée de 7 mn 29. Pour information, le violoncelle y joue la ligne mélodique.

Le morceau est composé de 4 couplets et 2 refrains dont le dernier très long. Pour vous y retrouver un peu mieux, le découpage en mesures (à 4/4) est le suivant. Intro : mesure 1 ; couplet 1 : mesure 25 ; couplet 2 : 64 ; couplet 3 : 105 ; refrain 1 : 143 ; couplet 4 : 161 (sans basse/batterie sur la moitié) ; refrain 2 : 199 ; refrain avec percussions 231 ; refrain avec chorus : 263 ;  : 295 à 304.

Les instruments sont présentés par ordre d’apparition dans le morceau.

Piste 16, xylophone.

Xylophone

 

Xylophone dans l’arrangement

Ce petit thème d’introduction, construit sur deux mesures, propose pas mal de notes en syncope : le ton est donné, il est à la danse. La première note commence par le contre-temps du premier temps…

Piste 1, Bass Drum (BD), grosse caisse.

La Bass drum isolée

C’est un instrument qui, d’ordinaire, se noie dans la masse musicale. On ne le distingue pas toujours très bien (fréquences graves), pourtant, retirez cette BD, est le morceau devient orphelin : la Bass Drum charpente l’édifice. Ici, elle est assez forte pour bien donner le rythme de la samba : poum, pou-poum, pou-poum…, un cœur qui bat…

La Bass Drum dans l’arrangement

Piste 3, Charley.

Charley isolée

C’est la double cymbale que le batteur actionne avec le pied. Ici, elle marque les 4 contre-temps de la mesure, pas très académique cette affaire, mais ça groove !

Charley et Bass drum

Piste 14, guitare rythmique cordes nylon.

Guitare "nylon" à pan coupé

Guitare rythmique isolée

Elle donne le rythme de la bossa-samba en 4/4 : noire, noire, deux croches, un demi-soupir, une croche par mesure. On l’entend bien (début du morceau) quand il n’y a pas trop de monde autour ! Elle donne l’harmonie de base (les accords).

Guitare rythmique dans l’arrangement

Piste 6, tambour tribal

Tambour brésilien (Wikipedia)

Tambour isolé

Panoramique à droite. Il joue sur le contre-temps du 2ème temps toutes les deux mesures sur le premier couplet.

Tambour dans l’arrangement

Piste 18, trompette

Trompette dans l’arrangement

Elle joue le petit thème, construit sur six mesures et répété deux fois, qu’on est censé retenir : on appelle ça un gimmick dans le jargon musical, Laurent Voulzy est un spécialiste du genre. L’instrument a été choisi pour donner une couleur « Amérique latine », salsa & co.

Piste 17, xylophone

Xylophone et synthé

Avez-vous une bonne oreille ? Il arrive aussi à la dixième mesure et double le thème joué par la trompette.

Xylophone, synthé et trompette

Piste 12, clear guitar Stratocaster

Fender Stratocaster

Clear guitar strat dans l’arrangement

Panoramique à droite. Cette guitare électrique commence à la mesure 23, reprenant la mélodie pour annoncer le thème chanté. Elle réalise de nouveaux contrechants en mesure 117 et, vers la fin, joue une rythmique sur 3 mesures en « cocotes » (mesures 204 à 207).

« Cocottes » de la Strat dans l’arrangement

Piste 24, cello, violoncelle

Man sitting on chair and plating cello.

Violoncelle dans l’arrangement

Avec son timbre chaud assez proche de la voix humaine, le violoncelle remplace dans cette version instrumentale le chant assuré dans l’original par Laurent Voulzy. Il démarre à la mesure 25.

Piste 21, sax soprane

Le sax soprane dans l’arrangement (mesure 128)

Le saxophone soprane entre en mesure 28. Il remplace les choeurs féminins (et sera rejoint par les piccolos dans ce rôle). À la mesure 128, la même note répétée accentue les syncopes dans le chant.

Piste 13, guitar clear chorus/space

Rickenbacker

Clear guitar chorus dans l’arrangement

Chez Voulzy, le rôle de ce type de guitares « spatiales », marquées par les effets Delay et Chorus qui donnent de l’ampleur au son, est capital. Elles jouent les multiples contrechants, en panoramique gauche, qui enrichissent et diversifient l’arrangement : mesures 41, 55, 64, 69, 78…

Piste 4, cymbales

Cymbales dans l’arrangement

Elles sont souvent associées aux tomes : il y en a de nombreuses sortes avec des sonorités et des usages bien différents : ride, crash, chinoise…

Piste 5, tomes

Tomes dans l’arrangement

Basse, medium et aigu. Ce sont de gros « tambours » (panoramique à droite) qui peuvent être mélodiques (3 notes différentes), peuvent faire des « descentes » de l’aigu au grave et servent souvent pour les « breaks » qui achèvent une partie et annoncent le passage suivant (nouveau couplet…).

Piste 11, Basse Précision

Basse Fender Précision

Basse Précision isolée

Elle fait son entrée au deuxième couplet (en mesure 64). Cet instrument qui joue dans les fréquences graves passe souvent inaperçu (on devrait dire « inentendu »…). Néanmoins, retirez-le et il manque cruellement. Il s’accorde bien avec la Bass drum (grosse caisse) et donne son assise au projet musical. La basse remplit tellement l’espace sonore, dans des fréquences parfois difficiles à chanter pour l’homme (et surtout la femme) qu’on la distingue mal ; mais lorsque vous arrivez à proximité d’une salle de concert, c’est elle qui, à distance se fait d’abord remarquer !

Basse Précision dans l’arrangement

Piste 2, Snare rimshot, cercle de la caisse claire

Snare rimshot isolé

Le « rimshot » commence également au début du 2ème couplet (mesure 64). Le batteur ne tape pas sur la peau de la caisse claire mais sur son rebord métallique pour obtenir un son plus aigu. C’est réellement « la marque de fabrique » de la bossa/samba et, sur l’assise basse/bass drum, son rôle est de faire sonner les contretemps (syncopes).

Dans le morceau, on joue sur la disparition de la rythmique « Bass drum – Bass – Rimshot » pour, a contrario,  créer des zones de repos, des ambiances plus calmes, ici notamment après le premier refrain, en mesure 160 (début du quatrième couplet).

Snare rimshot et rythmique

Piste 20, Strings, violons

Ensemble de cordes (Wikipedia)

Violons dans l’arrangement

Ils font leur entrée sur le premier refrain (mesure143) et forment des nappes qui emplissent l’espace sonore. Souvent placés « derrière », on les entend mais on ne les distingue pas forcément. Ils permettent de supprimer d’autres instruments rythmiques comme la guitare, le piano quand ils jouent en accords…, car ils suivent également l’harmonie du morceau. On les retrouve sur le 2ème refrain et sur le solo final.

Piste 23, Piccolo et choristes (choir)

Piccolo

Piccolo dans l’arrangement

Le picolo remplace ici les interventions vocales faites par les chœurs féminins (comme le sax soprane déjà vu) : mesures 143 (premier refrain), 188… Il est renforcé par le Piccolo de la piste 22 (188, 192), utile pour lui donner plus d’attaque, de consistance. Les « choirs » ajoutés apportent au contraire plus d’amplitude et d’effet « réverbération ».

Piste 7, Timbales

Timbales dans l’arrangement

Ce sont des instruments de percussion à la sonorité aigue, ils apparaissent au 2ème refrain (mesure 197). On les retrouve en annonce du passage qui fait la part belle aux percussions (mesure 231).

Piste 9, Guiro

Un guiro

Le guiro dans l’arrangement

Il accompagne les timbales en mesure 197. Il amène une couleur exotique avec sa sonorité très particulière qui rappelle un « ressort ». Ce son très particulier est obtenu par le frottement d’une baguette sur un morceau de bois cannelé.

Piste 19, Brass, section de cuivres

Section de cuivres (Wikipedia)

Brass dans l’arrangement

Le passage percussif est introduit par une section de cuivres (généralement trombones, trompettes et saxophones), brass en anglais, dont on entend pour la première fois les « riffs » en mesure 230.

Piste 10, Surdo

Surdo isolé

Outre les timbales, le guiro, les tomes et les cymbales, le passage percussif (mesure 231…) est rythmé lourdement (panoramique à droite) par le surdo, tambour traditionnel qui marque tous les deux temps.

Surdo dans l’arrangement

Piste 8, Timpani

Timpani dans l’arrangement

Cherchez l’intrus car ces Timpani ressemblent fort à un piège (et chez Salvéda, on est un peu facétieux) ! Dans cet instrumental, les timpani jouent une mélodie sur deux notes avec une sonorité de « casserole », car les Timpani sont des « metal drums ». Sur ce fond propice à la danse, la guitare en « cocottes », comme nous l’avons signalé, très rythmique, amène bientôt un nouveau gimmick pour accrocher l’oreille. Dans cet environnement sonore, les différentes voix (violoncelle, piccolo) vont se répondre. En fait, les Timpani ne sont autres que les Timbales (déjà rencontrées) mais qui, cette fois, jouent sur deux notes !

Piste 15, guitare acoustique

Un extrait de la partition du chorus sur Guitare pro

Guitare chorus dans l’arrangement

En mesure 263, commence le chorus (solo) de guitare acoustique qui n’existe pas dans l’original de Laurent Voulzy. Mais nous n’avons pas résisté à la tentation, le « cadre » harmonique et rythmique s’y prêtait tellement !

C’est également la présence de ce chorus qui a motivé le choix d’un tempo moins rapide sur l’ensemble du morceau. En effet, avec la noire à 176 et à cette vitesse-là, les double-croches du solo ne « passaient » pas. Déjà, à 162 (en 4/4), il faut déjà être un sacré guitariste pour jouer certains passages de ce chorus ! Malheureusement, il faut bien l’avouer, ce n’est pas un guitariste de Salvéda qui a assuré cette improvisation virtuose ! En fait, je me suis payé un petit plaisir en écrivant sur Guitare pro la partition complète du chorus, et le logiciel m’a « recraché » tout ça sans aucun problème, et à la vitesse demandée ! Après ça, on dira que la machine n’a pas l’âme d’un Paganini, ou plutôt ici, puisqu’il s’agit de guitare, d’un Path Methény

Tout ça montre bien qu’aujourd’hui, il faut se méfier de ce qu’on entend… Vous avez compris que l’armada des nouveaux logiciels a changé la donne : à la maison, on chante maintenant comme dans une église (réverbération), on chante aussi comme à la montagne (delay : « eho eho eho« …). Mais on peut faire encore bien plus de choses grâce à la technique, ce que nous aborderons peut-être, si vous êtes gentils, dans de prochains épisodes. De quoi démythifier bien des vedettes et bien des interprètes… Alors, l’Intelligence Artificielle pourquoi pas ? Pour démythifier cette fois-ci bien des créateurs…?

Le soleil donne (Laurent Voulzy et Alain Souchon) en 24 pistes par Salvéda

Alors, pour conclure, avez-vous bien tout entendu dans l’instrumental ? Une dernière écoute s’impose, pour vérifier…

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